Les fleurs de macadam
De 1851 à 2011, la proportion de Québécois vivant à la campagne est passée de 84% à moins de 20%. Et l’exode continue. Dans ce grand bouleversement, comment s’étonner que des déracinés de longue date puissent avoir l’impression que les œufs, les légumes et les aliments qui se trouvent dans leur frigo poussent dans les supermarchés? Deux jeunes femmes de la ville ont décidé de s’unir pour revaloriser l’agriculture, rapprocher le producteur du consommateur urbain et la nourriture du mangeur. En lançant Traktour, en juillet 2021, Alyssa Martel et Jennifer Theofilos souhaitaient « bâtir les consciences qui voteront demain…avec leur fourchette! », en proposant des excursions agro-éducatives aux Québécois.
C’est sur les bancs d’école, dans le cadre d’un stage, qu’Alyssa aura constaté une certaine carence de connaissance des populations urbaines au niveau de l’alimentation. Il n’en faudra pas plus pour qu’elle développe un projet d’éducation culinaire et nutritionnelle auprès de certaines écoles. Mais c’est la pandémie qui cristallisera le destin de la nutritionniste diplômée de McGill. Confrontée aux contrecoups de l’épidémie, elle s’inscrit à un programme d’aide au démarrage d’entreprise à HEC. Alyssa y découvrira le potentiel de l’agrotourisme. Une industrie riche de producteurs et d’initiatives autoguidées, mais à laquelle il manquait le « clés en main » pour offrir la campagne en pâture aux consommateurs des villes.
De son côté, Jennifer, kinésithérapeute passionnée de sport et d’entraînement, attachait beaucoup d’importance à la nutrition. Elle se préoccupait des calories, protéines, glucides et lipides qu’il lui fallait ingurgiter pour pouvoir performer. À tel point, qu’elle ne mangeait même plus les petits plats grecs que cuisinait sa grand-maman parce qu’elle ne pouvait pas en calculer les calories! C’est la rencontre d’Alyssa qui travaillait au même gym qu’elle qui lui fit ouvrir les yeux sur l’importance de revenir à la source des aliments et d’en redécouvrir le plaisir. Il n’en fallait pas plus pour qu’elle rejoigne Alyssa dans l’aventure de Traktour.
« Pendant les six premiers mois de 2021, nous avons épluché Internet pour trouver des exploitants agricoles qui partageaient nos valeurs écoresponsables. Nous cherchions des producteurs soucieux de leurs méthodes de culture. Des gens intéressés à offrir des aliments cultivés localement, mais qui n’avaient pas le temps de développer une offre agrotouristique. À partir de cette recherche, nous avons pu élaborer l’offre de Traktour. Nous proposons toutes sortes de visites. Chacune comporte trois expériences dans une même journée chez trois producteurs d’une région. » Alyssa Martel
De juillet à novembre 2021, les deux associées de 25 et 30 ans ont pu proposer 17 excursions qui ont attiré 250 agrotouristes en Montérégie et dans les Cantons de l’Est. Cette année, en dépit des restrictions sanitaires de janvier et février, Alyssa et Jennifer entendent bien pouvoir attirer quelque 1500 agrotouristes dans une centaine d’excursions. Leur offre pourrait bientôt s’étendre dans les régions de Lanaudière et des Laurentides.
Ces sorties ne font pas que le bonheur des personnes qui souhaitent découvrir des productions et se conscientiser à la réalité agricole. Elles permettent aux exploitants de gagner en visibilité et en notoriété, d’échanger et de sensibiliser les consommateurs aux réalités rurales et environnementales et d’engranger des revenus supplémentaires. Le tout contribue concrètement à la vitalité des territoires paysans.
En moins d’un an, Alyssa et Jennifer semblent avoir visé juste. Pas moins de 20% des agrotouristes qui ont pris contact avec une boulangerie artisanale, des animaux en pâturage, une ferme maraîchère, un apiculteur, un élevage d’oies ou de bœufs et bien d’autres excursions qu’elles proposent sont revenus une deuxième fois. Les racines entre le terroir et le macadam se tissent allègrement.