Dompteuse de crises
Cela fait dix ans bien sonnés que Sylvie Cloutier est aux commandes du Conseil de la transformation alimentaire du Québec (CTAQ). Une décennie que la présidente-directrice générale concentre ses énergies pour assurer le développement de cette industrie qui constitue le secteur manufacturier le plus important au Québec. Et, croyez-le, ça déménage!
Entre 2015 et aujourd’hui, le nombre d’emplois directs du secteur est passé de 64 000 à près de 72 000, sans compter les 100 000 emplois indirects. En transformant 70 % de notre production agricole, le secteur génère 25,7 M$ de produits dont 44% sont consommés au Québec.
Pourtant, aussi impressionnantes qu’elles soient, les performances de ce secteur manufacturier demeurent sensibles aux crises. Et Dieu sait que par les temps qui courent, l’ensemble de la planète est soumise à des convulsions extraordinaires.
De l’aveu même de Sylvie Cloutier, le plus grand défi du moment est de tout mettre en œuvre pour répondre aux besoins multiples de l’industrie. Et plus particulièrement des petites et moyennes entreprises qui constituent 85% des transformateurs. « On doit, entre autres, jongler avec le dossier des travailleurs étrangers temporaires, la réouverture des frontières, les surplus de volaille et de porc. À elle seule, la fermeture des hôtels, restaurants et des écoles a eu un impact important puisque ce milieu absorbe 30% des produits bioalimentaires transformés. Nous avons été très sollicités et il nous a fallu trouver des façons de soutenir de façon plus pointue certains secteurs de l’industrie. »
En collaboration avec le MAPAQ et le gouvernement fédéral, le CTAQ qui compte plus de 500 membres a fait partie de la cellule de crise de l’industrie de la transformation alimentaire. Une tâche qui requiert d’autant plus d’énergie et de pressions que les besoins des entreprises sont plus grands que la volonté des gouvernements de bouger sur certains grands dossiers. Par exemple, cela fait des années que l’industrie réclame du gouvernement qu’il élabore une stratégie bioalimentaire intégrée au plan économique du Québec au même titre que le sont les secteurs miniers, forestiers, maritimes et de l’aérospatiale.
« La pandémie aura peut-être permis de démontrer que notre secteur est un service essentiel et que l’achat local est d’une grande importance. Faire son épicerie était la seule sortie que les gens se permettaient. Cela a donné l’occasion de mettre l’emphase sur l’importance d’acheter local et de reconnaître la valeur de programmes comme Aliments du Québec. Des sondages reconnaissent aussi l’intérêt de dépenser son argent dans notre économie. »
Outre la pandémie, le nouvel Accord Canada-États-Unis-Mexique (ACEUM) vient ajouter son lot d’incertitudes. Sylvie Cloutier sait fort bien qu’il va toucher certains secteurs beaucoup plus que d’autres. Les produits laitiers, par exemple, risquent d’en prendre pour leur rhume. Ainsi, le déficit de 325 milliards que l’on vient d’annoncer va-t-il affecter les programmes existants? Verra-t-on la disparition de certains programmes essentiels à la survie de certaines entreprises? Tout reste à voir.
Heureusement, des crises, la battante de 60 ans en a vu d’autres. On pourrait même dire que depuis son tout premier emploi d’attachée de presse auprès du gouvernement, en 1984, toute sa carrière a été menée sous le signe de l’urgence. « Je suis habituée aux gestions de crises. Ça m’a donné une éthique de travail. » Et son passage à titre de directrice des communications à l’Agence spatiale canadienne lui aura peut-être même permis de ne plus craindre le vide!
Et c’est tant mieux pour elle, car l’enjeu de l’environnement n’est pas le moindre défi que les transformateurs alimentaires se doivent de relever. Les déchets organiques, la valorisation de la matière, les emballages recyclables ou biodégradables, la collecte sélective, l’élargissement de la consigne, voilà autant de casse-tête qui forceront la créativité et l’innovation.