Le fermier de famille
À 63 ans, pas moins de 38 ans après avoir fondé Les Jardins du Grand-Portage à Saint-Didace, dans le piémont lanaudois, Yves Gagnon s’est vu décerner le Prix Henry-Teuscher. L’évènement qui s’est tenu en mai dernier dans le cadre du 20e Rendez-vous horticole du Jardin botanique de Montréal couronnait l’immense travail de sensibilisation et d’éducation de ce passionné d’horticulture écologique.
Pour cet autodidacte qui a appris sur le tas de compost, comme il le dit en rigolant, ce prix est un baume pour l’âme en ces temps où la carpe asiatique remonte le fleuve et où les États-Unis se retirent de l’Accord de Paris. Changer les mentalités et lutter contre les Monsanto, Nestlé, Tim Horton et Starbuck de ce monde, Yves Gagnon le reconnaît, n’est pas chose facile. Mais fort de ses 11 livres sur l’horticulture bio et la santé par une alimentation saine, les très nombreuses conférences et formations qu’il donne depuis des décennies, il sent bien que sa passion est de plus en plus contagieuse.
Une passion qui remonte à loin. Élevé à Laval-sur-le-Lac, la municipalité fondée par son grand-père Gagnon, Yves a grandi dans le jardin qui entourait la maison familiale et a toujours été en contact intime avec la nature sauvage. Tant et si bien que son penchant pour l’alimentation l’amènera à entreprendre des études en hôtellerie. Très déçu par les matières premières avec lesquelles il devait travailler en cuisine, il part travailler sur des fermes en Colombie-Britannique. C’est là qu’il a vraiment pris conscience de la grande dépendance de la production alimentaire vis-à-vis des produits chimiques.
De retour au Québec en 1980, il achète une ferme à Saint-Didace où il se lance, avec sa conjointe Diane Mackay, dans la production de semences. Leur jardin, grand comme presque deux terrains de football américain, sera un véritable laboratoire, un potager biologique modèle où la table champêtre et les initiations aux techniques de culture biologique seront à l’honneur. Seuls les poisons chimiques et les pratiques qui dégradent les sols, les cours d’eau et la biodiversité sont interdits de séjour sur le domaine.
«Il y a 30 ans, les fermiers de famille n’existaient pas, mais aujourd’hui, tout le monde au Québec peut avoir accès à la formule des fermiers-paniers. Non seulement c’est plus facile à trouver qu’un médecin de famille, mais ça permet d’en avoir moins besoin. Les fruits et les légumes bio, c’est dur à battre !»
Yves Gagnon déplore encore le manque de volonté des gouvernements. Selon lui, ces derniers sont encore trop influencés par les lobbies des compagnies agrochimiques qui pensent au profit plutôt qu’à la qualité des aliments et à l’environnement. Il estime que de plus en plus d’agriculteurs sont prêts à opter pour le virage écologique, mais qu’ils auraient besoin d’un coup de pouce gouvernemental pour franchir les premières années de cette transition. Il le réclame au nom du bon sens et des générations futures. Entre temps, sa fille Catherine plante sa propre graine en offrant des semences patrimoniales biologiques de pollinisation libre.
Une relève porteuse d’espoir.