La femme bionique
Une grossesse, ça change une vie ! Demandez-le à Julie Lefort. En 2011, alors que les serres de son père Sylvain lui avaient servi de terrain de jeu depuis toujours, la jeune femme de 19 ans s’y voit subitement interdite de séjour en raison d’une opération pesticide. Enceinte et fraîchement diplômée de l’Institut de technologie agroalimentaire de Saint-Hyacinthe, Julie réalise le paradoxe de la situation et décide de changer le cours des choses. Elle allait se lancer corps et âme dans la production biologique.
La fille de Saint-Clothilde de Châteauguay a si bien réussi que le mois dernier, le très réputé hebdomadaire The Packer lui rendait un prestigieux hommage. Julie Lefort s’est retrouvée au palmarès des huit productrices maraîchères qui se sont le plus distinguées en Amérique du Nord. Une reconnaissance que la modestie avouée de la principale intéressée rend un peu mal à l’aise.
Elle n’a pourtant pas volé cet honneur qui vient de lui être rendu. En 2012, même son père Sylvain, le fondateur des Serres Lefort (1984), doutait de son ambitieux projet. Il ne croyait pas réaliste de «faire du volume» dans le bio et de se tailler une place sur les tablettes des chaînes d’épicerie. Pour lui, il ne suffisait pas de faire pousser du légume bio. Il fallait que cela soit rentable ! Qu’à cela ne tienne, Julie qui avoue carburer aux défis parvient à le convaincre de lui laisser faire ses preuves… sur un hectare.
À 20 ans, Julie avait peut-être tout à apprendre, mais elle trouvait illogique que les 45 serres dont son père lui remettait la responsabilité ne servent que six mois par années pour faire pousser les transplants destinés aux producteurs maraîchers. Il lui fallait trouver une façon de les faire tourner toute l’année.
Avec en poche son diplôme en technique de production horticole, Julie a dû s’adapter aux installations qu’on lui remettait et faire travailler à la fois ses méninges et son pouce vert pour développer
des stratégies gagnantes.
« J’ai touché à tout dans l’entreprise. J’ai jonglé avec les semis, la production, l’emballage, le marketing et les budgets. Avec un expert, j’ai implanté le programme informatique spécifiquement adapté à nos équipements et nos besoins. Il y a tellement de paramètres à prendre en compte que c’est un véritable casse-tête. Non seulement on travaille avec du vivant, mais dans le bio, contrairement à la production traditionnelle, l’utilisation des fertilisants est un véritable jeu d’équilibriste. »
Aujourd’hui, douze hectares et des dizaines de serres plus tard, la vice-présidente innovation et développement de l’entreprise familiale surfe allègrement sur VOG, la marque de commerce des produits bio qu’elle a développée et qui prennent, en bonne partie, la direction de la frontière canado-américaine tout juste à 14 km à vol d’oiseau de l’entreprise.
À 27 ans, elle jongle avec 500 000 douzaines de concombres anglais, 5,4 millions de concombres libanais, 2 millions de poivrons, plus de 950 tonnes de tomates en grappe et 545 tonnes
de tomates Beef.
On peut vraiment dire que son projet 100 % bio a fait des petits !