Julie Francoeur, le lot des femems

Julie Francoeur, le lot des femems

Le lot des femmes

Avant même d’éplucher les statistiques officielles, on a tôt fait de constater que les filles sont dorénavant plus nombreuses que les gars sur les bancs d’universités. Elles possèdent également davantage de diplômes de niveau collégial. Est-ce à dire que sur le marché du travail, les femmes occupent enfin la place qui devrait leur revenir ? Pas si vite ! Julie Francoeur, elle-même détentrice d’une maîtrise en développement régional et d’un doctorat en sociologie vient de publier Sortir du rang*, un ouvrage qui explique et dénonce l’incroyable absence de prise en compte des femmes dans le monde agricole.

Originaire du petit village de Saint-André-d’Acton, en Montérégie, Julie a vécu une bonne partie de sa jeunesse à la campagne, mais n’avait jamais réalisé que toutes ces femmes, absolument indispensables à la bonne marche et au succès des fermes familiales, ne récoltaient pas le crédit qui aurait dû être le leur. Comme si elles ne comptaient que pour des prunes.

Alors qu’elle avait la jeune trentaine, Julie Francoeur préparait son doctorat à distance depuis le Bic où elle avait joint une ferme collective. Pendant deux ans, elle s’est initiée à y faire de grands jardins et à s’occuper des animaux. Puis, en 2018, elle apprend que le Secrétariat à la condition féminine lance un appel à projets pour documenter le travail invisible des femmes en agriculture. « Ma propre expérience et mes recherches sur le terrain venaient justement de me faire réaliser qu’il y a 30 ans, il n’existait aucune statistique sur les femmes dans ce domaine. Les filles n’étaient absolument pas considérées. »  Ne faisant ni un ni deux, elle plonge dans l’aventure.

« Imaginez. Encore aujourd’hui, une agricultrice québécoise sur trois travaille dans une entreprise familiale sans salaire ni parts sociales. Il n’est quand même pas normal que les bas prix de nos aliments résultent en partie du bénévolat des femmes. »

Avec quelques collègues, la cofondatrice du Groupe de recherche sur le travail agricole (GReTA) de l’UQAM a fouillé ce dossier durant trois ans. Il fallait repenser et relire le contrat social avec un regard contemporain et féministe pour réfléchir sur le fonctionnement de ce modèle qui n’avait pas évolué depuis le rapport Héon de l’époque Duplessis. Avec le lancement de son livre, il y a deux mois, toute cette recherche n’aura pas été vaine.

La chercheuse de 38 ans qui porte aussi le chapeau de rédactrice en chef adjointe du magazine Nouveau projet garde espoir. Sachant fort bien que la relève ne dispose pas des millions qu’il faut pour s’établir sur de grandes exploitations, elle constate qu’ils se tournent de plus en plus vers une agriculture diversifiée sur de plus petits lopins de terre. Cela permet à plus de femmes d’accéder à la profession et à gagner une autonomie qu’elles réclament pour sortir de l’ombre de Monsieur et devenir des partenaires, voire des entrepreneures pleinement assumées.

De plus, selon certaines études, les décisions prises par les femmes seraient plus écologiques, plus durables. En cette ère d’urgence climatique, ce constat intrigue et ne devrait peut-être pas être pris trop à la légère.

Si seulement sa grand-maman Rose était toujours de ce monde. Femme de cultivateur et bûcheron, elle serait aux petits oiseaux de savoir qu’en plus de lui dédier son livre, sa petite-fille la défend en quelque sorte à titre posthume. Et on n’a peut-être pas encore tout vu. Encouragée par l’intérêt que suscite son ouvrage, Julie Francoeur aurait bien envie de pousser un peu plus loin. Après Madame, vous avez rien ! (Dagmar Teufel, ONF, 1980), qui sait si elle ne nous livrera pas un documentaire du style Madame est servie ! ?

*Sortir du rang – La place des femmes en agriculture
Les éditions du remue-ménage

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