Nicolas Paquin et David Dupaul-Chicoine, pêcheurs en basse terre

Nicolas Paquin et David Dupaul-Chicoine, pêcheurs en basse terre

Pêcheurs en basse terre

Au Marché central, à deux encablures du cinéma Guzzo qui tient lieu de phare, deux jeunes marins d’eau douce ont doublé le cap de Best Buy et longé le Canadian Tire avant de jeter l’ancre devant les Fermes Lufas. C’est dans le sous-sol d’un édifice industriel de la rue Legendre que Nicolas Paquin et David Dupaul-Chicoine ont touché terre et choisi d’y implanter Opercule, la toute première entreprise de pisciculture commerciale urbaine au Québec.

Au gré de leur développement, 60 000 œufs d’omble chevalier se sont mis à trembloter, puis à frétiller avant de se tortiller et de nager en bancs serrés dans neuf piscines hors terre qui, mises ensemble, équivalent à un terrain de badminton immergé dans deux mètres d’eau.

Riches en oméga-3, en phosphore, en vitamines D et A, en magnésium, en cuivre et en zinc, ces salmonidés indigènes du Québec que l’on surnomme aussi truites rouges peuvent mesurer entre 35 et 45 cm et peser entre 0,5 et 4,5 kg. De superbes belles pièces qui feront l’envie de bien des restaurateurs locaux à partir de Noël prochain.

Au départ, Nicolas ne se destinait pas du tout à la pêcherie en milieu urbain. Ingénieur mécanique, il travaillait à la construction du CHUM lorsqu’il s’est posé la question fatidique : si je devais mourir demain, est-ce que je serais satisfait de ce que j’ai fait de ma vie ? Dans son exploration des possibilités offertes par tous les collèges, il a commencé par la lettre A et il est tombé sur Aquaculture. Il n’a pas eu besoin d’aller plus avant dans l’alphabet pour trouver satisfaction. Pour sa part, David qui avait étudié la musique manifestait déjà un faible pour la culture hydroponique, mais l’élevage de poissons le titillait. Les deux gars se sont donc rencontrés à l’École des pêches et de l’aquaculture du Québec de Grande-Rivière, à 30 km de Percé.

Après avoir pensé lancer leurs filets en Gaspésie, ils se sont aperçus que plusieurs des problèmes auxquels ils seraient confrontés se trouveraient résolus s’ils s’établissaient dans la métropole. À Montréal, pas de problème d’accessibilité au marché, pas de surplus de phosphore et l’accès à l’eau propre et aux égouts constituaient de gros avantages.

« Nous avons lancé notre projet pilote en 2018 dans un garage simple. Nous nous sommes rendu compte que l’eau de la ville était bonne pour les poissons, qu’il y avait peu de mortalité. On a commencé avec des poissons plus gros pour nous assurer que le système fonctionnait bien. Puis on a pris des poissons plus petits (20 g), puis on a acheté des œufs au Yukon, à Shippagan (NB), puis dans le coin du Massif du Sud pour s’assurer que tout baignait du début à la fin. Ça nous donnait 750 kg de poisson par an. Ça prend un an avant qu’ils deviennent commercialisables. Dans la pisciculture actuelle, les œufs ont éclos en décembre 2021 et vont commencer à être commercialisables à 400 grammes, vers décembre 2022. Ils atteindront 1 kg à l’été 2023 et 2 kg en décembre 2023. »

Les deux artisans pêcheurs de 39 et 32 ans ont souhaité développer leur système de production avec l’objectif de réduire au minimum l’empreinte environnementale. Ils sont les tout premiers au Québec à avoir adopté un système de recirculation qui permet de récupérer 99,5 % de l’eau. Alors qu’une pisciculture traditionnelle a besoin de plusieurs milliers de litres d’eau par minute, Opercule, elle, n’utilise que 14 litres par minute. Pour ne rien gâcher, les boues sont également récoltées pour produire du compost.

Exempte de pathogènes et de maladies, l’eau de la ville élimine le recours aux médicaments, mais les besoins des poissons ne permettent pas de faire l’économie de toute une panoplie de dispositifs essentiels. Il faut des filtres biologiques pour enlever l’ammoniac, des filtres mécaniques pour les particules en suspension, des filtres UV contre les pathogènes, un générateur d’ozone pour détruire les algues, des thermopompes pour maintenir la température à 13 C. De plus, ces poissons du Grand Nord habitués au soleil de minuit ont besoin de lumière et de nourriture 24 h sur 24 à certaines périodes de l’année. Heureusement, l’automatisation facilite le contrôle de la ferme.

En fin de compte, Nicolas et David ambitionnent pouvoir vendre quelque 30 tonnes de ces poissons à grande bouche qu’ils distribueront aux restaurateurs par véhicules électriques. Et comme le Québec importe 95 % des poissons mangés ici, les cofondateurs d’Opercule entendent bien pouvoir ouvrir une deuxième pisciculture encore plus grosse dans la métropole. Parions que ça va gigoter en ville !

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